Des Pionniers - Symbiose lichénique - Morphologie et Physiologie - Reproduction - Adaptations - Bio-indicateurs de pollution - Rôles écologiques - Utilisations humaines - Croissance
Les lichens résistants aux conditions les plus difficiles ont conquis tous les milieux, à l'exception de la haute mer.
On les rencontre en abondance dans les régions tropicales, en altitude, accrochés aux branches des arbres sous la forme de longues barbes où ils s'abreuvent de brouillards. On les rencontre en tant qu'épiphyte sur le bois, les écorces, les feuilles d'arbres tropicaux, parfois sur des coléoptères ou des carapaces de tortues géantes des Galapagos. Dans l'eau douce ou salée, ils forment des croûtes noires, incrustées dans les rochers balayés par les vagues. Les constructions humaines leur servent également de domicile. Ils ornent les tuiles des maisons, les vieilles pierres, les murets mais ils peuvent s'installer aussi sur le béton, les carcasses de voiture, les vitraux des cathédrales, les pierres tombales, qu'ils attaquent et dissolvent peu à peu par l'action des acides lichéniques.
Pionniers exceptionnels, ils sont capables de pousser sur le sable, les pierres, le sol nu, sur les coulées de lave sitôt refroidies, là où aucun végétal ne prétend s'aventurer. Ils retiennent la poussière qui est amenée par le vent accumulant des éléments constituants un sol.
S'incrustant dans le substrat et libérant des acides, ils désagrègent la roche et la pulvérisent, contribuant ainsi, avec le temps, à la genèse du sol. Ils ouvrent alors la voie à toute une dynamique de colonisation végétale : les mousses, les fougères puis les plantes supérieures.
Les lichens sont des êtres doubles. D'abord considérés comme des mousses, puis rapprochés des fougères et des algues finalement des champignons, les lichens ont été difficiles à classer. Ce n'est qu'en 1867 qu'un botaniste suisse Schwendener, découvre la dualité profonde de ces organismes formé de l'union d'une algue et d'un champignon. Lorsque cette conception fut acceptée, les scientifiques nommèrent cette union symbiose, un terme issu du grec signifiant "vivre ensemble". Une sorte de mariage au sein duquel chaque partenaire dépend de l'autre pour survivre.
Depuis les lichens classés dans le règne fongique sont étudiés par une science nommée lichénologie.
Les premiers lichens remonteraient à 400 millions d'années. Cette union est plutôt une réussite si l'on considère que sur 65 000 espèces de champignons, 20 % ont choisi de s'unir avec une algue. Actuellement, on a répertorié 13 500 lichens, nombre approximatif car l'on découvre régulièrement de nouvelles espèces.
C - Morphologie et Physiologie
Cette alliance transforme profondément chacun de ses membres, surtout le champignon.
Bien qu'il représente jusqu'à 90 % de la masse du lichen, il ne peut en aucune manière formé tout seul un thalle.
Sous l'aspect lichen, le thalle se présente sous forme d'écailles, de croûtes, de filaments, de lanières ou de lobes, aux allure de feuille ou de langue (leikhein en grec signifie lécher). On distingue 3 grands types de lichens : les lichens fruticuleux au thalle en forme arbuste ou de tige plus ou moins ramifiée (ex Usnea et Ramalina); les lichens foliacés dont le thalle en forme de limbe foliaire, attaché au substrat par un seul point plus ou moins étendu (ex Parmelia, Xanthoria) et enfin les lichens encroûtants ou crustacés qui forment des croûtes minces ou épaisses fermement appliquées au substrat, tandis que le bord forme une limite imprécise, à tel point que le lichen ne se distingue du substrat que par une différence de couleur ou par l'apparition d'apothécies (ex Rhizocarpon, Graphis).
Lorsque l'on examine au microscope un lichen foliacé en
coupe, on observe des hyphes incolores du champignon en périphérie formant un
réseau dense de filaments entrelacés constituant une couche protectrice
appelée la zone corticale. Vers l'intérieur on voit encore des hyphes non
enchevêtrées, mais entourant de place en place les cellules bleu verdâtre de
l'algue. Sous cette couche se trouve la zone médullaire formée exclusivement
d'un tissu d'hyphes. en dessous se retrouve une zone corticale qui, en union
avec des filaments issus de la zone médullaire forme de fausses racines
appelées rhizines.
Les couleurs des lichens sont principalement dues aux acides lichéniques qui sont spécifiques des lichens. Ils changent très facilement de couleur et donnent alors la couleur typique jaune, rouge ou brune du thalle ou des parties du thalle.
Lorsque les scientifiques isolent et cultivent seul le champignon, ils n'obtiennent qu'une masse informe qui ne ressemble en rien au lichen dont il provient. l'algue peut dans certaines conditions, mener une vie autonome dans la nature. dotée de chlorophylle, elle sait tirer profit de l'énergie solaire et synthétiser sa propre matière. Le champignon ne possède pas ce précieux pigment vert et tire profit des produits de sa compagne.
L'algue photosynthétise, le champignon consomme les métabolites fabriqués par l'algue (les glucides notamment), en échange, il lui offre une protection contre le vent et les excès des rayons lumineux, il l'alimente en eau, en dioxyde de carbone, en éléments minéraux et en certaines molécules organiques comme des acides.
La symbiose lichénique divise les spécialistes; les uns la voient "mutualiste", à bénéfices réciproques et équilibrés, les autres, la trouve antagoniste, plus proche du parasitisme. pour ces derniers, le comportement du champignon semble agressif, ayant capturé l'algue qu'il emprisonne dans ses filaments, il la ponctionne au moyen de véritables suçoirs.
Certains champignons ne sont pas associés avec une algue mais avec une cyanobactérie organisme plus proche des bactéries capable de photosynthèse. Parfois des champignons lichénicoles élisent domicile sur d'autres lichens, formant avec leurs hôtes une triple voire une quadruple symbiose ! Diploschistes muscorum est un lichen qui se compte comme un véritable parasite en squattant un autre lichen. il lui enlève son algue compagne et le laisse dépérir et mourir. Il occupe alors tranquillement son territoire.
Au sein de cette union, l'algue est dépossédée de
toute sexualité. Seul le champignon qui est le plus souvent un ascomycètes
comme les pézizes et les morilles, peut se multiplier par voie sexuée. Les
spores qu'il libère le plus souvent au niveau de petites coupes appelées
apothécies, emportées par le vent doivent rencontrer ensuite des algues compatibles pour pouvoir
germer. Certaines espèces surmontent cette difficulté en libérant, par voie
non sexuée, des propagules, petits assemblages de cellules appelées sorédies provenant des
deux partenaires. Leur dissémination est produite par le vent , l'eau ou les
petits animaux. Les sorédies sont parfois si nombreuses et si serrées que le
lichen lui-même est complètement recouvert d'une couche farineuse vert
blanchâtre. Certaines espèces se reproduisent uniquement de cette manière.
Le thalle peut porter des excroissances cylindriques, écailleuses ou spatuliformes, parfois même fortement ramifiées, qui sont constituées d'algues et d'hyphes et qui sont entourées d'une écorce. elles se libèrent par rupture et assurent ainsi la dispersion. On les appelle des isidies.
Certains lichens du genre Cladonia, se brisent à l'état sec sous l'effet du piétinement et forment autant de boutures naturelles qui donneront de nouveaux thalles en se réhydratant.Ce moyen est d'autant plus efficace que ces petits débris peuvent être disséminés par des animaux.
Les lichens savent attendre patiemment le moment propice à leur développement. Leur succès, ils le doivent à une remarquable adaptation aux grandes variations de sécheresse et d'humidité. quand l'eau vient à manquer, ils cessent leur croissance et entrent en dormance souvent sur de longues périodes. ils savent capter la moindre trace d'humidité et l'absorbe comme du papier buvard. C'est la reviviscence : un lichen s'hydrate, se gonfle comme une éponge jusqu'à pouvoir contenir 30 fois son poids en eau !
Certains lichens n'hésitent pas à coloniser des terres polluées par des métaux lourds toxiques. Ils sont capables de résister aux radiations. Ils absorbent et concentrent les polluants métalliques et les éléments radioactifs.
Acarospora sinopica qui vit sur des roches riches en sulfure de fer leur doit sa couleur rouille tandis que Lecidea inops tire son fauve éclatant de sa teneur en cuivre, pouvant dépasser 16 % de son poids sec. Les lichens possèdent de remarquables mécanismes d'autodéfense contre les métaux toxiques. ainsi Diploschistes muscorum, peut tolérer des concentrations en métaux lourds dix fois supérieures à celles rencontrées normalement dans la nature. Cette espèce produit de l'acide oxalique, des acides lichéniques, des enzymes, des protéines et d'autres molécules qui fixent le zinc, le neutralisent et l'empêchent d'être toxique.
F- Des bio-indicateurs de pollution
Cependant les lichens sont très sensibles à des formes de pollution. La plupart des lichens semblent fuir les villes. responsable le dioxyde de soufre SO2. Même à très faible dose, le dioxyde de soufre émanant des foyers domestiques et industriels les fait rapidement disparaître. Ce gaz transforme les centres urbains en véritables déserts lichéniques. En effet les lichens ne possèdent pas de barrière protectrice. Ils n'ont ni cuticule rigide et imperméable, ni orifice pour contrôler les échanges gazeux. La moindre dégradation de la qualité de l'air se traduit par la disparition de nombreuses espèces.
Souffrant des activités humaines d'une façon sensible, les lichens sont utilisés comme d'excellents bio-indicateurs. La présence ou l'absence de certaine espèces reflètent le taux de pollution de l'air. Dans un milieu naturel, l'abondance et la diversité des lichens sont les signes d'une bonne santé écologique. Actuellement en complément des méthodes directes de mesures physico-chimiques, la présence de groupement d'espèces de lichens poussant notamment en épiphyte sur les arbres permet d'établir des cartes représentant des niveaux de pollution par le SO2 notamment.
Tous les lichens n'ont pas la même sensibilité; les fruticuleux (en forme d'arbuscule) sont les plus sensibles, les lichens crustacés ou encroûtant sont les moins sensibles.
Le plus sensible aux pollutions est le lichen Lobaria pulmonaria qui est un des plus gros lichen foliacé. Il est devenu très rare et se retrouve dans les belles forêts anciennes principalement en montagne. Un des plus résistant au contraire à la pollution est le lichen Lecanora atra, c'est le dernier à disparaître au fur et à mesure que l'on se rapproche d'un centre urbain. Grâce à des mesures anti-pollution, la qualité de l'air s'est améliorée en certains lieux, notamment en réduisant la teneur en plomb issu de la circulation automobile et en dioxyde de soufre. Ainsi le jardin du Luxembourg à Paris, après un peu plus d'un siècle d'absence, dix espèces de lichens sont réapparues. Mais l'air que nous respirons est-il pur pour autant ? L'augmentation d'autres polluants, le dioxyde d'azote et l'ozone par exemple reste préoccupante.
Dans la nature les lichens sont le maillon de base sur lequel repose l'écosystème arctique. Dans la toundra, ils forment un épais tapis qui régule l'humidité et la température au sol. Ils offrent aux cervidés nordiques, le renne européen et le caribou canadien jusqu'à 90 % de leur alimentation hivernale, c'est le cas notamment du lichen Cladonia rangiferina (le lichen des rennes). Les lichens offrent aussi le gîte et le couvert à des escargots, des limaces, des chenilles Des papillons et des grenouilles viennent s'y camoufler et de nombreux oiseaux comme les fauvettes de l'Arctique, trouvent en eux des matériaux de choix pour construire leurs nids.
H- Utilisations humaines des lichens
Les hommes ont aussi tiré profit des lichens. De nombreuses espèces notamment les usnées, entrent dans diverses pharmacopées traditionnelles.
Malgré leur goût amer, elles sont consommées dans certains pays. De la mousse d'Islande ( Cetraria islandica), les lapons tirent une farine pour la pâtisserie tandis que les japonais sont friands de watakes et autres tripes de roches (nom donné à certains lichens du genre Umbilicaria). La manne du désert (Lecanora esculenta) peut former une source de nourriture dans les déserts et les steppes d'Afrique du Nord et de l'Asie.
En décoration, de nombreuses espèces peuvent fournir des teintures naturelles, connues sous le nom d'orseilles. Celle d'Auvergne qui donnait aux étoffes une coloration rouge ou violette pourpre était tirée de la parelle (Ochrolecchia parella), une croûte blanchâtre qui pousse sur les schistes.
Le tweed écossais, les tapis navajos, les vêtements indiens de fêtes en Alaska.., tous tirent des lichens des camaïeux de verts, bleus, jaunes, rouges ou bruns. Les espèces du genre Roccella fournissent la teinture de tournesol. Une espèce Roccella tinctoria vit le long des côtes dans l'est de l'Inde.
Au temps des Romains, les lichens étaient appréciés dans le domaine de la parfumerie. dans les années cinquante, ils gagnent l'industrie. C'est par milliers de tonnes que celle-ci absorbe de la "mousse d'arbre" (Pseudevernia furfuracea) et de la "mousse de chêne (Evernia prunastri) venant des Cévennes, d'Aubrac, de Margeride ou d'Europe de l'Est et même de la "mousse de cèdre" importée du Maroc. De l'arbre-support dépendra la "note" que le lichen apporte. cueillie sur le pin sylvestre, la "mousse d'arbre" offre une note boisée. Celle-ci est très recherchée pour les eaux de toilette masculines qui gagnent en chaleur et ténacité, précise le parfumeur Philippe Collet. La "mousse de chêne" transmet une note marine, presque d'algue. elle rend les parfums de femme, riches, capiteux et chauds. Les extraits de lichens sont dits fixateurs de parfums mais ils apportent leurs propres arômes. En s'évaporant plus lentement, ils donnent aux parfums une vie plus longue.
Aujourd'hui soupçonnés de contenir des substances allergisantes, les lichens se voient écartés de la parfumerie par une réglementation internationale.
Les lichens pourraient aussi nous soigner. Certaines molécule introuvables ailleurs dans la nature et se comptant par centaines seraient dotées de propriétés antibiotiques, antivirales, antitumorales, anti-inflammatoires .... et leur rôle de filtre contre les UV pourrait également être mis à profit. mais si leur chimie est en grande partie connue, leur véritable activité biologique reste encore à démontrer.
Les lichénologues mettent en garde contre les récoltes abusives. du fait de leur croissance très lente en moyenne 1 millimètre par an, ce qui prouve une lenteur d'assimilation. Du fait de cette faible croissance certains lichens pourraient disparaître dans des régions où la cueillette est excessive surtout destinée aux décors de maquettes comme les Cladonia.
Certains lichens alpins pourraient être âgés de 1000 ans et d'autres au Groenland dépasseraient les 4000 ans. Les lichens crustacés qui croissent régulièrement et ne se détachent jamais du support minéral, ont d'ailleurs permis de dater des moraines (déblais constitués par des pierres et blocs poussés par les glaciers) ou des vestiges archéologies (vieilles tombes ou statues de l'île de Pâques). Quinze à Quarante-cinq ans seraient nécessaires pour que, dans la toundra, le tapis de lichens atteigne une hauteur de six centimètres seulement. C'est pourquoi, traditionnellement les éleveurs de rennes pratiquent une rotation des espaces broutés, respectant ainsi le cycle de reconstitution de la végétation. Cette faible croissance s'explique par le fait que l'algue doit assimiler pour tout l'organisme. La photosynthèse est encore freinée par le manque de lumière, puisque les hyphes (filaments) du champignon recouvrent les cellules de l'algue et ne leur laissent pas parvenir la pleine intensité lumineuse.